Des techniques accessibles à tous pour gérer les troubles de l’humeur

Dans un article publié dans un précédent numéro de Quintessence, j’ai écrit sur le Soutien à l’autogestion (SAG) des troubles de l’humeur, une approche qui s’avère être d’une efficacité surprenante, malgré sa facilité d’implantation et les coûts minimes qu’elle engendre. Le SAG préconise l’enseignement aux patients de méthodes fondées sur des données probantes afin que ces derniers puissent gérer plus efficacement leur dépression. Ils obtiennent sans frais le Guide d’autosoins pour la dépression à l’adresse : http://www.comh.ca/publications/resources/asw/SCDP-French.pdf,  en plus d’avoir accès au soutien d’un professionnel de la santé, d’un travailleur d’entraide ou d’un membre de leur famille. Les techniques enseignées dans ce guide sont basées sur la thérapie cognitivo-comportementale.

L’objectif de notre groupe de recherche (CARMHA) à l’Université Simon Fraser de Vancouver est de fournir ce guide aux Canadiens et aux Canadiennes qui souffrent de troubles de l’humeur. Il s’agit d’un objectif ambitieux, voire démesuré, mais nous continuons sans relâche à faire connaître cet outil. Malgré un budget de diffusion limité ─ ou plutôt, avec aucun budget ─, un nombre étonnant de patients l’ont déjà adopté.

Voici deux graphiques illustrant le nombre de téléchargements du Guide d’autosoins pour la dépression. Le premier indique tous les téléchargements effectués entre 2009 et 2013 illustrant une augmentation graduelle du taux de téléchargement jusqu’à l’atteinte d’un point d’inflexion en janvier 2013. C’est à ce moment que les téléchargements ont commencé à augmenter de façon radicale, avec une hausse beaucoup plus marquée pour la version française. À la fin de l’année 2013, la version anglaise comptait 900 téléchargements par mois, alors que la version française avait été téléchargée 1 600 fois par mois! Le deuxième graphique porte sur la répartition géographique des téléchargements, notamment ceux effectués au Québec. Il démontre que le nombre de téléchargements est réparti de façon impressionnante d’un bout à l’autre de la province.

Graphe
Map

Voici les questions évidentes à se poser :

  • Pour quelle raison le matériel sur l’autogestion des soins a-t-il connu une si grande popularité dans l’ensemble du pays?
  • Pourquoi le nombre de téléchargements a-t-il augmenté aussi subitement il y a environ un an?
  • Pourquoi ce nombre a-t-il augmenté de façon si radicale au Québec?

Ces réalités peuvent être analysées en fonction du processus de la non-linéarité qui suggère que des effets imprévus sont engendrés par des interactions qui surviennent à l’intérieur d’un système complexe[1]. Il est possible qu’une « modification infime des conditions initiales d’un système non linéaire déterministe puisse entraîner des variations importantes d’un état futur ». Il s’agit de l’effet papillon[2] qui rappelle la métaphore colorée selon laquelle le battement d’ailes d’un papillon des semaines antérieures peut déclencher un ouragan. Bien que nous n’ayons mené aucune activité promotionnelle, la popularité élevée de notre outil d’autogestion des soins semble être un bel exemple de l’effet papillon. Cependant, cette conclusion nous pousse encore à chercher des réponses spécifiques aux trois questions posées ci-dessus, lesquelles nous aideraient à faire connaître cet outil ainsi que d’autres pratiques novatrices en matière de santé mentale.


[1] Litaker, D., Tomolo, A., Liberatore, V., et coll. (2006). Using complexity theory to build interventions that improve healthcare delivery in primary care. Journal of General Internal Medicine, 21, S30-34.

[2] http://fr.wikipedia.org/wiki/Effet_papillon

 

2 commentaires pour "Des techniques accessibles à tous pour gérer les troubles de l’humeur"

  1. À la lecture de votre article, j’avoue avoir été étonné de votre étonnement.
    Vous avez publié un excellent guide, que j’ai téléchargé il y a déjà quelques mois, et que j’ai découvert par l’intermédiaire d’un confrère qui lui-même l’avait connu par le biais de Qualaxia. Un processus visiblement très simple de bouche à oreille et de transmission de connaissance
    Il n’est, à mon avis, pas nécessaire de s’appuyer sur la théorie du chaos pour trouver une explication rationnelle et reproductible à volonté pour au moins 2 raisons:

    (1) le succès de cette publication ne dépend pas des conditions initiales, ou tout du moins ne se voit pas remis en cause par une infime variation de ces conditions,

    (2) il existe, en tenant compte du principe de parcimonie (rasoir d’Ockham), une explication plus triviale et qui s’applique quotidiennement à la mise en valeur de toute activité humaine: la relation forte de cause à effet entre promotion et reconnaissance. Une publication de qualité dotée, d’une traduction de bonne facture, diffusée à travers un réseau de professionnels de la santé « tricoté serré » à la grandeur de la province sont selon moi des raisons suffisantes pour expliquer quantitativement et géographiquement ce succès.

    Il est d’ailleurs rassurant qu’un réseau tel que Qualaxia offre de tels avantages apportant implicitement la preuve que le tout est différent de la somme des parties.
    En lieu et place de l’effet papillon, je vous proposerais donc plutôt une explication plus « stable », plus simple et aux résultats plus prédictibles: l’effet Qualaxia

     
  2. Dan Bilsker

    Vous n’avez pas tort lorsque vous dites qu’étant donné le réseau étroitement lié de professionnels de la santé et de diffusion des connaissances qu’est Qualaxia, on ne devrait pas s’étonner ou évoquer l’effet papillon pour expliquer la propagation efficace des connaissances par l’entremise de cet outil basé sur des données probantes. Toutefois, selon mon expérience de plusieurs décennies dans le système public de soins de santé mentale, il est très difficile d’arriver à transmettre rapidement et fidèlement des pratiques innovantes et basées sur des données probantes dans l’ensemble du réseau de soins de santé mentale. En fait, j’ai vu très peu d’exemples d’une telle transmission optimale de pratiques basées sur des données probantes. Et assurément, la mise en place d’une littérature scientifique montre à quel point l’application à vaste échelle de telles pratiques peut être laborieuse, notamment car elle requiert une stratégie soigneusement élaborée et des investissements importants. Ce dont je m’étonnais, en fait, c’était de la diffusion répandue, importante et relativement rapide du guide sur la dépression, pratiquement sans investissement ni activité de promotion de notre part. Même si l’on considère l’engagement important du Québec envers l’amélioration de la qualité à ce chapitre, ce phénomène me montre que l’exploitation habile de la technologie Web peut être transformatrice et très complexe. En terminant, je veux souligner qu’à notre grande surprise, cet outil a été téléchargé de façon très répandue en France (p. ex., 3 000 exemplaires à Paris), là où aucune activité de promotion n’a été faite à ma connaissance, et où l’approche cognitive comportementale elle-même rencontre une résistance importante.

     

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