Enfin un accès facilité à la psychothérapie, mais à condition d’y avoir vraiment accès!
Nous avons tous appris en décembre dernier que le gouvernement compte mettre sur pied un programme visant à accroitre l’accès à la psychothérapie. De toute évidence, le montant annoncé, soit 35 millions $, ne permettra pas de répondre aux besoins des Québécois et Québécoises. En effet, les évaluations réalisées par le Collectif pour l’accès à la psychothérapie et le Commissaire à la santé et au bien-être du Québec estiment plutôt un coût entre 200 et 400 millions $ (rappelons que les montants investis en psychothérapie seraient récupérés, comme je l’ai expliqué dans un blogue précédent).
Néanmoins, il faut admettre qu’il s’agit d’un premier pas, et d’un pas dans la bonne direction. Bien entendu, comme le programme en est un d’envergure et que nous n’en sommes qu’au début du processus, il reste plusieurs éléments à définir, dont les conditions d’accès et les diagnostics couverts par le programme, le nombre de séances offertes, le tarif remboursé par séance, et les modalités de paiement des thérapeutes, pour ne nommer que ceux-là. Pour l’instant, je tiens à m’attarder à un aspect bien précis des modalités d’accès, la nécessité d’une référence médicale, puisqu’il semble y avoir ici une certaine confusion. Selon certains, une référence médicale ne devrait pas être requise pour avoir accès au programme, tandis que d’autres estiment qu’une personne voulant avoir accès à la psychothérapie devrait d’abord consulter son médecin. C’est ce dernier qui la dirigerait alors vers la psychothérapie. L’Association des médecins psychiatres du Québec, par exemple, fait référence à ce qui serait « médicalement indiqué », ramenant inutilement la psychothérapie sous la gouverne médicale. L’Ordre des psychologues du Québec, quant à lui, « espère que ça ne passera pas exclusivement par le diagnostic d’un médecin ».
Or il y a ici de très bonnes raisons de faire bien plus qu’espérer, et de plutôt s’y opposer fermement. D’une part, l’expérience australienne, où la psychothérapie est aussi assurée par l’État, démontre qu’une partie importante des dépenses de leur programme est liée au passage obligé chez le médecin et que ces coûts vont en augmentant (Mathews, sous presse). Plus important encore, avec 20 % des Québécois et Québécoises qui sont sans médecin de famille et les difficultés que plusieurs d’entre nous ont à obtenir un rendez-vous médical, la nécessité d’avoir une référence médicale ferait en sorte que plusieurs ne pourraient pas consulter ou qu’il y aurait un délai supplémentaire avant de pouvoir commencer la thérapie. En effet, les études menées sur le programme d’accès à la psychothérapie au Royaume-Uni démontrent que le passage obligé par le médecin marginalisait des patients vulnérables, notamment ceux et celles provenant des communautés culturelles (Brown et coll., 2014). Ainsi, le Royaume-Uni permet aujourd’hui d’obtenir des services sans passer par un médecin. Par ailleurs, une récente étude publiée dans The Lancet démontre que le temps d’attente avant de pouvoir commencer une thérapie est l’un des meilleurs prédicteurs du succès ou de l’échec de cette thérapie.
Les attentes sont grandes quant au programme québécois d’accès à la psychothérapie. Voilà pourquoi il est important de mettre en place les conditions et mécanismes nécessaires pour le rendre efficace en apprenant des erreurs que d’autres ont faites, puis en évitant de les répéter. Faire de la référence médicale une condition d’accès à la psychothérapie serait une erreur. Il ne suffit pas de faire un pas dans la bonne direction en mettant en place ce programme d’accès à la psychothérapie; il faut aussi éviter de s’enfarger en faisant ce pas.
Références bibliographiques :
Brown, J. S. L., Ferner, H., Wingrove, L., Aschan, L., Hatch, S. L. & Hotopf, M. (2014). How equitable are psychological therapy services in South East London now? A comparison of referrals to a new psychological therapy service with participants in a psychiatric morbidity survey in the same London borough. Social Psychiatry and Psychiatric Epidemiology, 49, 1893-1902.
Clark, D. M., Canvin, L., Green, J., Layard, R., Pilling, S. & Janecka, M (2018). Transparency about the outcomes of mental health services (IAPT approach): an analysis of public data. The Lancet, 391 (10121), 679–686.
Mathews, R. (sous presse). Better Access, Growing Pains. Canadian Psychology.
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Un commentaire pour "Enfin un accès facilité à la psychothérapie, mais à condition d’y avoir vraiment accès!"
Je suis d’accord avec M.Drapeau. La nécessité d’avoir un diagnostic médical va réduire l’accès aux A
Services.On peut se demander par ailleurs si ce n’est pas justement ça qui est visé par le gouvernement.
Car 35 millions ce n’est pas beaucoup pour une société comme le Quebec.
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